« Hommage à Fernand Oury »
par Patrice Buxeda.
Fernand Oury nous a transmis une identité, une façon d’être et de se tenir debout en tant qu’instituteurs. Identité tissée de langage, de culture et d’histoire.
Praticiens de classes coopératives primaires ou maternelles, organisateurs de stages de formation mais aussi chercheurs, écrivains de monographies de classes ou d’enfants, voilà notre compétence.
Mais, sans langage pour l’affirmer, cette compétence ne serait rien. Aussi en nous initiant à une méthode de travail et d’élaboration complexe, la monographie d’écolier, Fernand Oury nous a légué un langage, une forme qui donne la parole.
Ce sont ce langage et cette parole, témoins de notre identité, que nous tenons à préserver, l’œuvre initiée par Fernand et les pionniers que nous tentons de poursuivre.
Pourquoi ? Par soumission filiale au discours du maître ? Par impossibilité de tuer ou dépasser le père ? Non, par nécessité.
Nécessité de survivre dans l’institution qui nous nie, de faire exister la PI telle que nous la vivons quotidiennement dans nos classes, telle que nous la comprenons, la défendons, telle que nous savons la mettre en œuvre et la transmettre.
L’école en crise, nous dit-on, est sur le devant de la scène médiatique. Articles, interviews, livres, essais, émissions de télévision… Qui interroge-t-on ?
Philosophes, scientifiques-prix nobels de préférence-universitaires, tous gens fort respectables au demeurant, à qui le système scolaire a pour le moins réussi, mais qui nous semblent tout de même bien loin des réalités quotidiennes de l’école.
Dans ce concert surgissent parfois des mots familiers. On apprend, par exemple, que dans tel IUFM, le « quoi de neuf ? » est à la mode et l’on assiste à des « quoi de neuf ? » édulcorés, transformés en leçon de langage ou de vocabulaire où rien ne peut se dire parce que la parole de chacun, protégée par aucune loi, est récupérée à des fins pédagogiques ou morales.
Ailleurs c’est le conseil d’enfants qui, pour éduquer à la citoyenneté, tient la vedette. Un conseil de discipline qui ne règle même pas les conflits. Ou bien ce sont les « ceintures de couleurs » complètement obsessionnalisées qui tentent de tout maîtriser, qui morcellent la classe en une multitude de menus individuels. On appelle cela « travail personnalisé ». Plus de jeu possible et surtout plus de groupe. Mais ces éléments isolés de l’ensemble qui leur donne sens se révèleront forcément impuissants. Ils ne pourront certainement pas servir de recette à la violence, à l’absence de communication au sein du système scolaire ; au mieux des outils, au pire des trucs pour tenter d’endiguer le désarroi pédagogique.
Plus rarement encore on parle de PI mais on oublie souvent et de plus en plus de citer son fondateur, de se référer aux sources et aux classes qui existent. Il ne s’agit pas simplement d’une question d’honnêteté. Si peu de temps après la mort de Fernand, devons-nous déjà procéder à un retour à Oury ?
La pédagogie institutionnelle n’est pas une pédagogie intentionnelle. Elle n’est pas qu’un ensemble d’idées et de principes.
La pédagogie institutionnelle est une praxis : « un ensemble d’activités humaines susceptibles de transformer le milieu naturel ou de modifier les rapports sociaux ». Toute pratique de la PI passe inévitablement par la pratique de la classe.
Transmettre la PI, c’est, avant tout, apprendre à créer une classe coopérative. D’abord des enseignants au point techniquement c’est à dire, sachant faire un journal Freinet, mettre au point une correspondance individuelle et collective, organiser des enquêtes et réaliser des albums, utiliser l’apport des enfants pour apprendre à lire, écrire, compter et les faire travailler selon leur niveau et leur rythme. C’est à dire, faire des classes qui utilisent les techniques Freinet, produisent avant tout des progrès scolaires avec du grandissement.
C’est le pied production, technique, matérialiste du trépied, notre ancrage historique, l’héritage de Freinet et de Makarenko.
Mais bien entendu, même si la compétence technique de l’enseignant nous semble incontournable, même si nous savons bien que les techniques et les situations modifient bien plus les comportements que nos bonnes intentions, cela ne suffit pas.
Qu’est-ce-qui dans la PI produit des évolutions d’enfants ? Autrement dit, qu’est-ce-qui dans la pédagogie institutionnelle a une fonction thérapeutique et comment y former ?
On pourrait, ce n’est pas encore devenu inutile, reparler du trépied : la production et les techniques, le groupe, l’inconscient. On poursuivrait sur les quatre L : lieux, limites, loi et langage. On enchaînerait sur les statuts, les rôles et les fonctions. Aurions-nous pour autant atteint notre but ?
Créer une classe coopérative, car il s’agit bien d’une création, c’est élaborer un milieu complexe dans lequel tous les éléments sont à la fois causes et effets les uns des autres.
Reprenons l’exemple du « quoi de neuf ? » puisqu’il est à la mode nous dit-on. Que serait un « quoi de neuf ? » sans les autres lieux de parole ? Sans « choix de texte » par exemple pour accueillir l’imaginaire, sans boîte à questions pour éventuellement prolonger, nuancer ou compléter ce qui se dit ou ne peut pas se dire au « quoi de neuf ? », sans table d’exposition pour recevoir l’objet apporté, sans possibilité de créer un album, sans correspondants à qui raconter, sans ceinture de comportement pour assurer une aire d’existence et la priorité à la parole ou pour transmettre la présidence à un élève et enfin, sans conseil pour garantir la loi et assurer la cohésion ?
On pourrait prendre n’importe quelle technique ou institution de la classe et le même phénomène d’association, de mise en relation se produirait. Pour pouvoir exister et être efficace, La PI a besoin de tous ces éléments, de la complexité qu’ils installent et a besoin d’adultes capables de faire avec cette complexité sans trop d’angoisse.
Inévitablement, nous sommes agis par cette complexité, par le mouvement, l’incertitude, la précarité qu’elle génère. Seulement la formation et l’expérience aidant, on peut aussi agir sur elle, appuyer sur la bonne touche . C’est la pratique de la classe, les heures de vol, les lectures de monographies, les stages, les discussions avec les pairs c’est à dire l’élaboration progressive d’une théorie personnelle qui permet peu à peu de trouver des solutions.
Outre la proximité des personnes, c’est la prise en compte de cette complexité qui nous relie culturellement à la psychothérapie institutionnelle.
Pour les pionniers de la psychothérapie institutionnelle il apparaissait impossible de pratiquer la psychothérapie sur un tas de fumier. Si nous transposons sur le champ de l’école, c’est en transformant la classe en oasis respirable que la PI crée les conditions indispensables pour produire de l’instruction et de l’éducation, pour produire du grandissement. Des preuves ? Le nombre et la qualité des monographies produites.