» Les doudous  » Isabelle Robin.

Moments de classe en maternelle :

Textes parus dans « Nouvel Educateur » et dans : « le journal du Congrès de l’ICEM »

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Congrès ICEM de Strasbourg.

 

AVPI-Fernand-Oury présente :

La pédagogie institutionnelle

à l’école maternelle.

Après une dizaine d’années de pratique des techniques Freinet et de la pédagogie institutionnelle à l’école primaire, Isabelle Robin enseigne à l’école maternelle et utilise cette pédagogie avec des enfants de 2 à 6 ans. Dans sa classe, on trouve donc les lieux de parole, d’accueil et d’inscription ainsi que les techniques de travail favorisant les relations et les échanges dans et hors le groupe caractéristiques de la pédagogie institutionnelle : quoi de neuf, choix de texte, mise au point de texte, imprimerie, journal, correspondance scolaire collective et individuelle, conseil, métiers, ceintures en lecture, écriture et comportement (gris, rose, blanc), équipes, monnaie, marché, table d’exposition…(cf. Essai de pédagogie institutionnelle de René Laffitte et AVPI, page 357.)

Au congrès de Strasbourg, pendant des temps d’ateliers, AVPI-Fernand-Oury présentera des diapositives montrant l’école maternelle organisée avec ces techniques et ces institutions et ainsi qu’une lecture publique d’une monographie d’enfant.

Ci-dessous, instantané d’un moment de classe :

Les doudous au quoi de neuf

Isabelle Robin

 

En maternelle, même en grande section, souvent les enfants arrivent à l’école avec un doudou. Le doudou s’installe rapidement au quoi de neuf et va y rester toute l’année … pour certains. A chaque fois c’est le même rituel : après quelques questions, un enfant demande si on peut le voir. L’intéressé le montre, pour la xième fois…

Je pense qu’accueillir le doudou qui fait partie, en quelque sorte, de l’enfant est important. Mais comment arriver à « passer à autre chose » ?

Un quoi de neuf de mars … où les doudous sont encore présents.

Je préside. Un élève est secrétaire.

Jean (GS): J’ai une nouvelle veste.

Marie (GS) : qui te l’a achetée ?

Jean : Ma mère

Anna (GS) : tu peux nous la montrer ?

Jean va chercher sa veste dans le couloir et nous la montre.

Ivan (GS) : Elle est en jeans. T’es beau.

Moi en tant que présidente : On passe. La parole à Killian (MS)

Killian : J’ai un doudou.

Bertrand : Tu l’as apporté ?

Killian : oui.

Moi : Est-ce que c’est ton doudou de naissance ?

Killian : Oui, je l’ai eu quand je suis né …

Séverine (l’ATSEM) : Et tu ne l’as jamais perdu ?

Killian : Si une fois dans un magasin. Je pleurais mais après ma sœur l’a retrouvé.

Sarah : T’as fait une crise ?

Killian : Ben … un peu, je tapais partout. Je voulais mon doudou.

Moi : Tu as eu de la chance que ta sœur le retrouve ! Tu lui as fait un bisou pour la remercier ?

Killian : Sais pas.

Moi en tant que présidente : On passe.

Des grands lèvent la main.

Anna : Killian ne nous a pas montré son doudou …

Moi : Non ! Mais nous le connaissons ! Killian tu parlais bien de ton petit chien gris ?

Killian : Oui.

Moi : Je pense que maintenant, nous connaissons tous les doudous des enfants de la classe. Nous pourrions plutôt poser d’autres questions aux enfants qui présentent toujours leur doudou. Ça les aiderait peut-être à grandir et à parler moins souvent de leur doudou !

Le quoi de neuf continue et la parole est donnée à plusieurs enfants de GS qui nous parlent d’une visite au zoo, de la venue d’un grand-père de Turquie, du bobo de la sœur …

Puis la parole est donnée à une enfant de MS qui, régulièrement, présente encore son doudou.

Josie : J’ai un doudou.

Anna : Qu’est-ce que c’est comme doudou ?

Josie : Une souris. (La même que d’habitude.)

Johny : Pourquoi elle a perdu sa queue ?

Josie : Parce que mon frère a tiré dessus …

Abdel : Tu te bagarrais avec ton frère ?

Josie : Oui.

Paul : T’as pleuré ?

Josie : Non parce que ma mère a dit qu’elle va coudre la queue.

Bertrand (GS): Mais ça fait longtemps ! On n’a jamais vu ta souris avec une queue.

Josie : Ma mère a pas le temps.

Moi : Peut-être que maintenant tu es habituée à ta souris sans queue … Est-ce que tu aimes bien cette souris sans queue comme doudou ?

Josie : Oui ! (Avec un grand sourire).

Ali : Elle sent bon ?

Josie : Oui !

Moi en tant que présidente : On passe.

Josie n’aura pas montré son doudou …Les doudous vont être parlés … Même des grands  (qui ne montraient plus leur doudou) vont nous raconter l’histoire de leur doudou.

Nous apprendrons que :

  • Le doudou d’Eliott a été perdu et que sa sœur lui a offert un de ses anciens doudous.
  • Marie a un ancien doudou de sa mère.
  • La mamie de Baptiste lui répare régulièrement son doudou mais ne trouve pas toujours la même couleur de tissu : « Mon doudou se transforme ! »
  • La mère de Victor lui a pris son doudou et l’a « vendu » !?
  • Paul n’a jamais eu de doudou mais pour la sieste à l’école, il en emprunte un de la classe (règle élaborée au conseil sur proposition de Paul : si on n’a pas de doudou ou si on l’a oublié, on peut prendre un doudou de la classe.)
  • Hortense a deux doudous : un pour chez papa, un pour chez maman…

Le doudou, autrement dit l’objet transitionnel cher à D.W. Winnicott, est la première possession « non-moi » écrit-il. L’enfant s’attache un objet : ours, poupée, bout de tissu… qui l’accompagne pendant un temps plus ou moins long de sa petite enfance. Objet de consolation, de défense contre l’angoisse en particulier l’angoisse de type dépressif, rassurant au moment de l’endormissement mais qui, nous dit Winnicott : « doit aussi survivre à l’amour instinctuel, à la haine et, si tel est le cas, à l’agressivité pure. » Il y a des doudous qui, outre les câlins, passent de sacrés quarts d’heure.

Cet objet pallie au manque de la part rassurante et consolatrice de la mère. Mais il montre aussi que, de la mère, on peut s’en passer. Il est voué à un désinvestissement progressif, « relégué dans les limbes » dit Winnicott. Il perd sa signification au fur et à mesure que s’élargit la sphère culturelle de l’enfant, en particulier son langage. Je n’interdis pas le doudou comme cela se passe dans certaines écoles maternelles. Je l’accueille au moment du Quoi de neuf ? car il fait, en quelque sorte, partie de l’enfant … Mais comment arriver à passer à autre chose ? Avec du temps, de l’écoute donc de la patience, les doudous vont être parlés, racontés sans qu’on ait besoin de les montrer. Ils vont devenir des histoires, des histoires de doudou. Le langage, peu à peu, s’est substitué à l’objet transitionnel.

« À la limite, les mots d’une langue sont des objets transitionnels subtils. » Dolto, Séminaire 3 Inconscient et destins, page 128.

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